Accès vasculaire urgent : du pénis à la sonde d’échographie

Dynamique de la perfusion intra-pénienne (schéma tiré de l’article de Godec)
Offrons-nous une pause entre deux pandémies pour faire le point sur les accès vasculaires urgents. En effet, nombre d’entre nous ont été sollicités durant cette affreuse période pour la mise en place dans les plus brefs délais d’abords veineux à des fins réanimatoires et, malgré le contexte infectieux hautement contagieux, tels de courageux chevaliers armés de notre monture échographique, nous sommes presque toujours venus à bout de l’hydre couronnée.
A y regarder de plus près, le temps n’est pas si loin où l’urgence de trouver une voie d’abord – outre les classiques – imposait une ingéniosité technologique. Un article a récemment refait surface autour d’un tweet dont j’ai oublié la problématique. Il faisait mention d’une voie pénienne (intra caverneuse via la veine pénienne) pour le remplissage vasculaire chez les patients au faible capital veineux périphérique (1).
Passé le premier effroi pour mes dignes attributs, il me fallait investiguer sur cette voie exotique. Exotisme, envie d’ailleurs, atypie étaient peut-être les premiers sentiments qui agitaient Werner Forssmann (2) en 1929, alors résidant en Allemagne et exerçant en chirurgie, lorsque celui-ci s’auto-inséra un cathéter urétéral à travers sa veine cubitale jusque dans son cœur et que muni dudit dispositif il gravit plusieurs étages pour se rendre au rayon X où une radiographie confirma que la pointe de son cathéter s’étendait dans son oreillette droite. Pour la première fois, un humain vivant avait un positionnement intracardiaque documenté d’un cathéter percutané : ainsi les accès veineux rentrèrent dans la modernité et son initiateur dans la longue liste des Nobel.
A partir de ce moment-là, l’accès vasculaire a grandi et muri pour devenir un soin médical incontournable. De la physiologie cardiaque la plus fine à l’alimentation parentérale pédiatrique en passant par les cathéters d’hémodialyse, il était partout et pour tout. Avec la croissance des indications, il a fallu sécuriser leur mise en place chirurgicale d’abord sur des repères anatomiques (technique d’Aubaniac pour la veine sous-clavière, abord jugulaire de English) et sur des modalités d’insertion simplifiées (technique de Seldinger adaptable quel que soit le site). Dans les années 80, sous l’impulsion des radiologues et de leur nouvel appareil à ultrasons, les premiers repérages échographiques étaient décrits. On peut noter dans ce bref rappel historique, le glissement progressif de taches du chirurgien vers le radiologue.
L’article de Godec précité se situe à la croisée de ces chemins entre le repère anatomique et la bonne foi physiologique en contexte urgent. Les auteurs de cette description princeps nous assurent la facilité de pose, le territoire de drainage veineux important et des capacités de remplissage importantes. Aujourd’hui qu’en reste-t-il ? D’autres publications du même genre se sont succédées soit sur des animaux soit sur un faible effectif de patients. Tous vantent la reproductibilité de sa mise en place mais la technique me semble tellement barbare que vous la décrire ne m’enchante guère (3-9). Il nous faut rassurer notre lectorat : la technique n’entrave pas les capacités érectiles des impétrants aussi bien humains qu’animaux.
Le remplissage hydrique ou l’administration de médicaments n’est pas uniquement veineux : intra-artérielle (si hémodynamique conservée), intra-osseuse, endobronchique, sublinguale, hypodermique (hypodermoclyse) car tous les chemins mènent à Rome. Outre leur caractère aigu, leur pérennité n’est pas assurée et leur utilisation non traditionnelle impose une certaine expérience.
Que faut-il faire face à ces options non classiques ? Sincèrement en dehors de la voie intra osseuse bien codifiée notamment chez les enfants, les militaires et la voie endo bronchique dans l’arrêt cardio-respiratoire, elles ne resteront que des anecdotes néanmoins elles témoignent d’un savoir-faire et d’un questionnement persistant sur la manière dont on peut effectuer la prise en charge d’un patient en urgence. L’échographie est devenue l’indispensable couteau suisse du poseur même en situations extrêmes et en 2020 il est légitime d’affirmer, avec soulagement, que cette voie pénienne est révolue.
Dr B. Gafsou.
Anesthésiste, C.M.C.O. du Mousseau, Evry, 91000
Références
-
Godec and al. The Penis-A Possible Alternative Emergency Venous Access for Males ? Ann Emerg Med1982 May ;11(5) :266-8.
-
Michael V. Beheshti. A Concise History of Central Venous Access. Tech Vasc Interventional Rad 14 :184-185.
-
Pertek JP, Coissard A, Meistelman C, Cormier L, Hubert J : Intracavernous infusion : an alternative route to intravenous access during resuscitation ? Ann Emerg Med 1998 ; 32(6): 753–4.4.
-
Nicol D, Watt A, Wood G, Wall D, Miller B : Corpus cavernosum as analternative means of intravenous access in the emergency setting. Aust NZ J Surg 2000 ; 70 : 511–4.
-
Gofrit ON, Leibovici D, Shapira SC, et al : Penile intracorporealinfusion–possible access to the systemic circulation. Pressureflow stud-ies in dogs and humans. Eur J Surg 1997 ; 163(6) : 457–61.
-
Abolyosr A, Sayed MA, Fathy E, Smeika MA, Shaker SE : Blood trans-fusion and resuscitation using penile corpora : an experimental study. Urology 2005; 66: 888–91.
-
Shafik A, El Sibai O, Shafik IA, Shafik AA : Corpora cavernosa as analternative route for transfusion. Front Biosci 2006 ; 11 : 2535–7.
-
Stein M, Gray R : Corpus cavernosum as an emergency vascular accessin dogs. Acad Radiol 1995 ; 2 : 1073–7.
-
Degim T, Dundaroz R, Sizlan A, Yasar M, Denli M, Gokcay E : The useof the corpus cavernosum for the administration of phenobarbital :an experimental study in dogs. Int J Pharm 2002 ; 246 : 105–9.