Quand antibio rime avec inhalo…

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Il peut paraître incongru de venir parler d’antibiothérapie inhalée à une association comme le GIFAV spécialisée dans la prise en charge des accès vasculaires et de la thérapie intraveineuse. Pourtant, dans certaines occasions, d’autres voies que la voie intraveineuse peuvent s’avérer pertinentes pour traiter au mieux nos patients souffrant d’infections respiratoires. Depuis quelques années, l’antibiothérapie administrée par voie inhalée a bénéficié de nombreux progrès. Actuellement 5 molécules anti-infectieuses ont l’AMM pour cette voie : la tobramycine (forme nébulisée ou poudre), la colimycine (forme nébulisée ou poudre), l’aztréonam lysine (forme nébulisée), l’amikacine liposomale (forme nébulisée en ATU nominative), la pentamidine (forme nébulisée). L’intérêt de la voie inhalée est de faciliter l’apport, directement au site malade et en quantité importante, de principe actif tout en ayant un passage systémique faible de ce dernier, et donc un nombre moindre d’effets secondaires. Cependant l’efficacité thérapeutique est directement liée à la qualité du dépôt pulmonaire de l’antibiotique. Elle dépend donc des caractéristiques de l’aérosol (taille de particules faible, inférieure à 5 µm), de celles du patient (dépôt d’autant plus faible que le patient est un enfant, qu’il a une obstruction bronchique, qu’il a des zones pulmonaires mal ventilées), et surtout de la technique d’inhalation du patient. Le choix du système d’inhalation (nébuliseur ou poudre) est basé sur la préférence du patient, sur son niveau de débit inspiratoire (à moins de 30 litres/minute le seul choix est le nébuliseur) et sur l’interface utilisable (si débit de plus de 30 litres/minute mais masque facial nécessaire le seul choix est le nébuliseur).
​L’indication majeure des traitements antibiotiques inhalés est pour la tobramycine, la colimycine et l’aztréonam lysine la lutte anti-pyocyanique. Les recommandations des différentes sociétés savantes s’occupant de mucoviscidose sont de proposer ces traitements dans la colonisation bronchique chronique à pyocyanique, entre 2 cures antibiotiques administrées par voie systémique. L’efficacité antibiotique des produits par voie inhalée est alors globalement identique. Ces antibiotiques inhalés ont également une place dans la primo-infection à pyocyanique où, en cas d’absence de symptômes respiratoires importants, ils peuvent être donnés seuls, pendant 28 jours à 3 mois selon le produit considéré. Ainsi, le taux d’éradication est de plus de 90%, identique à celui obtenu avec une cure intraveineuse. Dans la mucoviscidose, une administration ORL de ces antibiotiques, avec des nébuliseurs adaptés, peut se discuter en cas de rhinosinusite chronique, notamment pour limiter l’ensemencement à partie des voies aériennes supérieures des voies aériennes inférieures.
En dehors de la mucoviscidose, la tobramycine ou colimycine inhalées peuvent trouver une place dans les dilatations de bronches non mucoviscidosiques (dilatation post-infectieuses, dyskinésies ciliaires, etc.) infectées par du pyocyanique. Les niveaux de preuves sont moins élevés que dans la mucoviscidose, mais les recommandations européennes indiquent les antibiotiques inhalés lors de colonisation chronique ou de 3 exacerbations par an ou de détérioration clinique malgré une antibiothérapie orale continue. Certains proposent également ces mêmes schémas de prise en charge dans la BPCO. Dans les pneumonies à bacilles gram négatif associées à la ventilation mécanique, plusieurs études montrent l’intérêt, notamment de la colimycine nébulisée, soit en curatif, notamment en association avec la colimycine intraveineuse, soit en préventif, dès que les patients sont ventilés plus de 48h. Enfin, ces antibiotiques nébulisés peuvent aussi être utilisés dans des situations cliniques particulières (trachéotomie, encéphalopathie, immunodépression …) où le pyocyanique peut être rencontré.
Quant à la pentamidine nébulisée, elle garde toute sa place dans la prévention des infections opportunistes à Pneumocystis chez le patient VIH positif. Elle nécessite un nébuliseur particulier avec délivrance de très petites particules (de l’ordre de 2 µm) et limitation des pertes médicamenteuses dans l’environnement immédiat du patient.
Enfin, l’amikacine liposomale peut être prescrite, en association avec d’autres anti-tuberculeux, en cas de mycobactériose après aval du centre national de référence pour les mycobactéries. Elle nécessite dans ce cas l’utilisation d’un nébuliseur spécialement et uniquement réservé à sa délivrance.
Au total, les agents anti-infectieux délivrés par voie inhalée ont une place réelle dans l’arsenal thérapeutique actuel. Ils sont rarement en compétition avec les traitements délivrés par voie intraveineuse, car leurs indications sont assez ciblées, mais leur mode de délivrance peut être réellement facilitant.
Pr Jean-Christophe Dubus
Unité de pneumopédiatrie, CHU Timone-Enfants, Marseille
Responsable du GAT (groupe aérosolthérapie de la Société de Pneumologie de Langue Française)
Responsable du GRAM (groupe aérosols et mucoviscidose de la Société Française de la Mucoviscidose)
Outils pratiques :
– Groupe AĂ©rosols et Mucoviscidose. Septembre 2020 – La nĂ©bulisation en pratique est tĂ©lĂ©chargeable ICI
Pour aller plus loin :
Thérapie par voie inhalée. Dubus J.-C. et al. Editions Margaux Orange. 2019